Vivre, c’est choisir
Il y a quelques jours, je reçois un courriel d’une bonne amie qui dirige à bout de bras depuis plusieurs années une compagnie de théâtre, une compagnie nécessaire, qui fertilise à sa façon unique le terreau artistique d’ici. Elle m’annonce qu’elle songe sérieusement à fermer. Coup de tonnerre! Le sous-financement endémique des arts au Québec aura peut-être raison d’elle et de sa structure incomparable. Je me dis : « Encore une autre qui tombe au combat! » La chanson de Boris Vian me revient à l’oreille, et le cœur plein de chagrin et de colère, j’ose en changer les paroles.
Messieurs dames les dirigeants
Je vous fais cette lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Un message qui m’obsède
De collègues en détresse
qui n’tiendront plus longtemps
Sachez, ô dirigeants
Je ne peux plus me taire
Leur sort me désespère
Les voyant chancelant
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Clairement et sans méprise
On en a plus qu’assez
Depuis qu’j’suis dans le métier
J’ai vu pleurer des pairs
J’ai vu des personnes chères
Tristement renoncer
Mais je n’peux supporter
Que des créatrices notoires
Se moquant de la gloire
Ne puissent plus travailler
Quand j’étais petite fille
On me disait souvent
« Tu peux rêver ta vie
Tout est possible, vraiment »
Aujourd’hui nous voyons
Que se ferment les portes
Que le désespoir emporte
Toutes les générations
Plus jeune j’ai milité
De Québec à Ottawa
Et soudain mon porte-voix
m’incite à recrier
« Camarades, tenons bon
Nous valons mieux, vraiment
Que ce sous-financement
Auquel il faut dire non »
S’il faut trouver l’argent
Taxez les grosses fortunes
Ou prenez quelques tunes
Sur vos salaires de dirigeants
Mais donnez les moyens
Aux artistes dans la ronde
Qui soignent un peu le monde
De tracer leur chemin
Monique Jérôme-Forget clamait dernièrement à la radio de Radio-Canada[1] que l’un de ses principaux regrets, comme ministre, avait été de ne pas augmenter le budget de la culture à l’équivalent de 3% du budget global du Québec. Elle en aurait pourtant eu l’occasion pendant l’un de ses nombreux mandats politiques, ayant été notamment ministre des Finances et présidente du Conseil du trésor.
On m’a appris que vivre, c’est choisir, madame Jérôme-Forget.
Monsieur Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications, nous dit quant à lui que le budget de la Culture a été augmenté dernièrement. C’est vrai. Mais malgré cette augmentation, l’enveloppe réservée à la culture n’en demeure pas moins équivalente à 1% du budget de la province.
On dit souvent qu’il est important que les enfants lisent des livres écrits par des auteurs et autrices d’ici. On veut aussi qu’ils aillent au théâtre, qu’ils regardent sur leurs écrans du « contenu » qui leur ressemble. On veut des musées et des galeries d’art foisonnants qui reflètent toutes les cultures qui nous façonnent et les tendances d’hier à maintenant. On veut de la danse dans les salles, mais aussi dans les rues. On veut de la musique qui nous raconte et on veut qu’elle voyage. Tout ça a un prix. Si l’art est le miroir d’une société, dans le reflet du nôtre actuellement, on y retrouve le portrait de tout un secteur en très grande souffrance et qui sera bientôt à l’image de notre système de santé : kapoute. Ceux et celles qui le maintiennent en vie depuis toujours, à grand coup de passion, d’engagement et de miracles, sont à genoux. Et pourtant, ironiquement, même si la maison brûle, les artistes continuent à créer malgré tout, par vocation, mais aussi parce que le show must tout le temps go on, paraît-il.
Que peut l’art devant les injustices de notre monde, la brutalité de la guerre, la mort d’un enfant ? Si peu… et pourtant tellement, notamment en ce qui concerne les plus jeunes qui ont besoin de multiplier les points de vue pour comprendre le monde de plus en plus complexe dans lequel ils vivent. L’art demeure un espace de formation mais aussi de réparation individuelle et collective en favorisant une plongée intérieure, une reconnexion avec soi-même. L’art aiguise notre sens critique, nous fait prendre du recul, met en mouvement nos certitudes. Les histoires racontées, les images créées, les mélodies composées traduisent nos déceptions, nos souffrances, nos désirs pour que celles et ceux qui nous succéderont ne tombent pas dans les pièges que nous n’avons pas su éviter.
Je termine cet édito avec les mots de la psychiatre et autrice Lydie Salvayre : « Nous sommes quelques-uns à penser qu’une vie sans rêve, sans envol, sans désir d’infini, sans désir d’impossible, ne serait pas une vie. Que serait une vie privée de cet élan, de cette énergie que confère l’utopie ? Une vie vivante pourrait-elle se satisfaire du mesurable, du pragmatique, de la raison utilitaire ? »
Marie-Eve Huot
Directrice artistique
[1] Dessine-moi un matin, « Un dimanche matin avec Monique Jérôme-Forget » à partir de 26min10sec.
Programmation de la 51e saison du Carrousel
La nouvelle production du Carrousel, Joséphine et les grandes personnes, texte de Marie-Hélène Larose-Truchon dans une mise en scène de Marie-Eve Huot, sera créée au Théâtre du Bic en octobre prochain. En novembre, la pièce sera présentée à l’Arrière Scène à Beloeil, avant de connaître sa première montréalaise à la Maison Théâtre. À l’hiver, la pièce tournera en France, et terminera sa saison au Théâtre français du CNA à Ottawa.
Image Jérémie Battaglia – Conception de l’affiche OOPS! DESIGN
Pour sa deuxième saison, Une petite fête – Cabaret de la dissidence sera présenté cet automne au Québec, à Montréal dans le cadre du CAM en tournée et dans la programmation officielle de CINARS. Plus tard cette saison, la pièce partira en tournée en France et à Vancouver.
Photo : David Ospina
Cet hiver, Chœur battant connaîtra une nouvelle tournée en Europe, alors que, de son côté, La question du devoir tournera au Canada. Suivez-nous pour connaître toutes les dates de ces représentations.