Un furieux besoin d’y croire

8 janvier 2022.
C’est le petit matin.
Dehors, la température ressentie est de –30 degrés Celsius.

Tout le monde dort. Je suis moi-même encore engourdie par le sommeil et les rêves.

Le soleil se lève d’un coup. Je le regarde avec admiration. Sa lumière nargue le froid perçant qui crispe déjà toute la ville : les bâtiments, les rues, les arbres, les habitants – la vie.
Monte aussitôt en moi un furieux besoin de sortir sans prendre le temps de chausser mes bottes qui me protégeraient de la morsure de l’hiver : aller dehors et laisser l’air glacé aérer chaque coin du corps, de l’esprit.

Je pense aux enfants. Je pense aux jeunes.

Il faut leur rappeler que rien n’est permanent. La vie est mouvante, elle circule, elle évolue. Elle est libre. Ce qui n’est pas possible aujourd’hui le sera sans doute demain, ce qui a du sens ce matin déclenchera probablement des questions ce soir. Je me parle fort pour être certaine de bien m’entendre.

Nos peurs d’aujourd’hui ne sont pas là pour toujours.

Pieds nus dans la neige bleue du petit matin,
je ressens la chaleur des draps
qui enveloppent ceux qui dorment encore.

Dans leurs rêves,
les autres me regardent,
respirent,
habitent le temps et l’espace à leur manière,
là-bas, tout près.
Ils me sourient.

Leur présence est forte,
elle est vraie.
Elle n’est pas de synthèse,
elle n’est pas virtuelle –
elle est pleine de cet hiver
que j’aime,
pleine de cet hiver qui finira bien par finir
et qui reviendra,
ne l’oublions pas,
après le printemps qui refleurira,
après l’été qui nous réchauffera,
après l’automne qui nous enveloppera.

Alors que le jour fend la nuit,
alors que le froid m’émerveille,
cette présence est tout ce que j’ai.

Ce matin encore, le monde souffre – je ne hiérarchise pas la douleur provoquée par les derniers mois. Nous sommes toutes et tous atteints dans notre plus profonde intimité par cette déferlante qui nous éclabousse depuis trop longtemps maintenant, par cet effritement d’un monde que nous avons tant critiqué et qui nous fait désormais rêver. Plus que jamais, je recherche les liens invisibles qui me relient à la chaleur des endormis.

Quand la maisonnée s’éveillera,
on ira patiner.

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Le fil rouge qui relie les spectacles du Carrousel en cette saison 2021-2022 est fait de liberté. La liberté de questionner (Antigone sous le soleil de midi), la liberté de déplacer les limites (Frontière Nord et L’ombre portée), la liberté de chercher plutôt que de trouver (La question du devoir), la liberté d’apprendre plutôt que de réussir (Une lune entre deux maisons), la liberté de rêver un avenir qui nous ressemble (In Correspondance). Chacune des propositions voyagera au Québec et ailleurs dans le monde, pour un total de 137 représentations.

Aussi, Gervais Gaudreault, David Ospina et moi-même amorcerons un travail de recherche et de documentation qui nous mènera à la réalisation d’un reportage-documentaire sur le parcours de notre artiste associé. Nous raconterons 50 années de théâtre, d’enseignement, de construction et de voyages.

Finalement, parce que les échanges avec des artistes qui m’inspirent m’ont terriblement manqué depuis le début de la crise sanitaire, j’ai eu envie d’en réunir quelques-unes, quelques-uns, autour d’un repas, à quelques reprises au cours de la saison. (Le printemps reviendra, croyons-y…)

Nous échangerons à propos de cette grande question qui anime la mission du Carrousel: « Quoi dire aux enfants ? ». Nous pourrons aussi aller plus loin, en nous demandant, par exemple « Comment leur dire ces choses que nous souhaitons leur dire ? ».

Ce sera pour moi l’occasion de rencontrer des artistes, leur univers, leur façon d’appréhender le monde et l’art dans l’intimité de la réflexion.

J’ose croire, aussi, que nous nous nourrirons tous les uns les autres, que nous nous relancerons et que nous nous propulserons dans nos démarches respectives, toujours en ayant comme point d’horizon les questions liées aux mondes de l’enfance, de la jeunesse et des arts de la scène.

Ensemble, nous imaginerons une suite des choses.

Amitiés et solidarité,

Marie-Eve Huot
Directrice artistique