Les cahiers du 50e
Martin Bellemare

Dheiw dheiw ! – Dheiw dheiw !
Ah ce bruit !
Cette chanson presque !
Cette entrée en matière de toute collaboration avec le Carrousel !
Je ne me voyais pas commencer
Sans ce tintement de porte caractéristique
Qui marque toute visite dans les locaux – dans la maison
De la compagnie
Rue Parthenais

Déjà
Une maison
Pour une compagnie de théâtre
Ça parle non ?

On m’a appelé à témoigner de mon histoire avec Le Carrousel
Alors je me présente non pas à la barre
Mais dans la cuisine–salle à manger
Au deuxième étage de la maison de la compagnie
Pour m’asseoir à cette grande table qui réunit ceux et celles qui passent là
Inspiré·e·s
Chercheur·se·s
Dédié·e·s
Cette grande table qui dit l’ambiance du lieu
Qui dit la réunion
La communion
L’envie de se parler
De partager le repas
De partager les mots
De partager le temps et les émotions
D’échanger

Oui une tasse de thé merci
Oh vert noir tisane tout me va
Merci beaucoup

Témoigner des 50 ans du Carrousel
C’est un peu vertigineux
50 ans de création
50 ans comme un repère de réflexion et d’audace

Comme auteur
Impossible d’oublier Suzanne Lebeau citant et s’appropriant les mots d’Anna Machado – à savoir qu’on peut tout dire aux enfants – la seule chose qu’on ne peut pas faire c’est leur enlever l’espoir

Impossible d’oublier ma première séance de coaching pro (je n’étais plus à l’École) avec Suzanne – attentive disponible et généreuse – m’éclairant sur les mots–béquilles, ces mots discrets et utiles qui font partie des étapes d’écriture d’un texte mais qui gagnent souvent à ensuite être enlevés pour éviter que les interprètes ne s’appuient trop dessus – pour qu’ils aient plutôt à les incarner les jouer – des « et » des « mais » par exemple

Cette séance c’était dans le premier bureau à gauche
Quand on a pris le corridor en haut de l’escalier
Vous voyez ?

Impossible non plus d’oublier San José en Uruguay (près de Montevideo) où Suzanne coanimait un atelier international sur les tabous en jeune public avec Maria Inès Falconi et Carlos de Urquiza auprès de praticien·ne·s de toute l’Amérique (du Sud, centrale et du Nord) dont moi – déjà à l’École nationale on nous exposait à l’importance de l’œuvre de Suzanne qui était systématiquement nommée – en Uruguay je mesurais le respect de sa réflexion l’étendue de sa réputation et aussi du travail du Carrousel en jeune public – une production du Carrousel passait d’ailleurs par là en tournée – à prendre un maté (en vrai un thé) avec l’équipe je saisissais l’ampleur du réseau international du Carrousel – son étendue à l’échelle mondiale

On va dans la salle de répète ?
C’est juste là derrière la porte
Allez

Ah !
Cet espace vibrant
Imprégné des projets
Des essais
Des recherches
Des trouvailles
Des explorations
Des vérifications
Impossible de ne pas avoir en tête les lectures de mes textes mis en scène par Marie–Eve (Un château sur le dos, Des pieds et des mains) et tout le travail d’auditions d’explorations de répétitions et d’échange artistique sur Une petite fête – Cabaret de la dissidence

Impossible de ne pas ressentir ici son ardeur minutieuse sa bienveillance sa pétillante exigence et sa sensibilité contagieuse

Et cet espace Le Carrousel l’ouvre à des collaborateur·trice·s à des jeunes
compagnies à des résidences de création de toutes sortes (Le Cube compris)

Ça vibre hein
On n’a pas fait le tour de toute la maison évidemment
Mais j’avais envie qu’on mette le corps dans l’endroit d’où ça part tout ça :
Les spectacles entre autres
Et l’énergie du Carrousel
Qui marquent l’identité de la compagnie – de Gervais et Suzanne à Marie–Eve – sur 50 ans – par une haute pertinence recherchée dans les sujets abordés – une profondeur humaine – une exigence artistique à tous les niveaux (impossible d’oublier la réputation de Gervais de spécialiste de la voix chez les interprètes) – et surtout – surtout : une écoute – une écoute immensément attentive à ce que les enfants ont à dire

On retourne dans la cuisine–salle à manger ?
Vous voulez boire quelque chose ?
Dheiw dheiw ! – Dheiw dheiw !

Ah des gens viennent d’arriver !
Ça continue !

Martin Bellemare

 

 

Descriptif de la photo :

Une petite fête – Cabaret de la dissidence (2023) de Martin Bellemare, mise en scène de Marie-Eve Huot, est la plus récente création du Carrousel.
Sur la photo : Mathieu Gosselin, Némo Venba et Pénélope Ducharme
Crédit photo : David Ospina