Les cahiers du 50e
Nathalie Derome
Des praticiens amoureux de la pratique
Je ne suis pas une intime du Carrousel, je suis une fan !!!
Je me suis mise à les fréquenter tardivement, en 2007, au moment où j’ai officiellement posé mes valises dans le secteur de la toute petite enfance. Je rencontre alors Marie-Eve Huot qui vient de fonder le Théâtre Ébouriffé. Force vive de la nouvelle génération, elle est très active dans le secteur et possède naturellement la liberté rigoureuse et l’émotivité palpable des véritables artistes. Dans ses mises en scène, sa grande sensibilité n’est jamais un frein. Elle lui sert plutôt de joyeux tremplin dramaturgique. Pas étonnant qu’elle ait été choisie pour prendre le relais de la direction artistique du Carrousel.
Je connais Gervais Gaudreault depuis les années 80. C’est mon maître de voix et de diction à l’UQAM. Sa présence à la fois lunaire* et ferme ne se ternit pas avec le temps. Ce que je retiens de son enseignement, à travers la multitude d’exercices pratiques, c’est que la tradition vocale, avec son histoire et ses règles, permet l’articulation et la transmission d’une pensée et, ce faisant, en assure la survie… Euh ? J’invente ?
En tout cas, cette idée me revient en tête quand j’ai la chance d’assister au spectacle Le bruit des os qui craquent. L’intelligence de la mise en scène de Gervais Gaudreault « fait rendre gorge » à la beauté et à la dureté du texte de Suzanne Lebeau. Je reviens chez moi, affolée, émue et reconnaissante car je viens d’assister à une grande leçon de théâtre… jeunesse ?
La teneur du langage parlé jumelée au travail phonétique et vocal des interprètes est acrobatique. L’impression que de la fine dentelle, en suspension dans l’air, pénètre mon esprit par le conduit auditif et que c’est par cette porte que sont conviés et conquis tous mes sens. On dirait que des mélodies complexes conduisent le spectacle et précèdent volontairement le sens du texte. On a tous très envie d’entendre la suite du récit et de voir ce qui se déploie à travers les ombres. C’est que tout ce ballet sonore est finement déposé dans un écrin visuel sobre, élégant et si délicat qu’on pourrait penser qu’il est limpide comme du cristal. Aouch…! Les jeunes spectateurs qui m’entourent ne semblent pas traumatisés. Ils semblent plutôt heureux de la confiance qu’on leur accorde en leur expliquant la réalité complexe des enfants-soldats.
Beaucoup plus tard, grâce à une résidence au Cube, j’ai la chance de pénétrer le joli repère en pain d’épices de la rue Parthenais et de découvrir la ruche de travailleurs et travailleuses affairé·e·s qui semblent tous et toutes respirer par le nez. C’est beau à voir !
Les deux fondateurs et leur successeure partagent le même COEUR à l’ouvrage. Ce sont des praticiens amoureux de la pratique, des chefs d’orchestre enivrés par la musicalité et le pouvoir des mots, de redoutables artistes-capitaines qui ne baissent jamais pavillon, d’indispensables bêtes humaines dans le paysage culturel, et de bons vivants qui savent aussi rire à pleins poumons. Avec eux, il est toujours agréable de prendre un thé… enfance-jeunesse ! On y apprend beaucoup sur soi et sur le Monde qui nous entoure.
Chapeau bas et longue vie au Carrousel !
*lunaire (dictionnaire Larousse) : Sensibilité accrue, imagination débordante, besoin d’intimité, forte intuition.
Nathalie Derome
Directrice générale et artistique de la compagnie Des mots d’la dynamite
Descriptif de la photo :
Le bruit des os qui craquent (2009) de Suzanne Lebeau, mise en scène de Gervais Gaudreault.
Sur la photo : Audrey Talbot et Jean-Philip Debien
Crédit photo : François-Xavier Gaudreault