Les cahiers du 50e
Mireille Lacroix

Avec Le Carrousel, en 1993, je suis entrée dans la ronde du monde jeune public au moment même où je devenais tout juste responsable théâtre et danse à la Délégation générale du Québec en France. Je faisais alors la connaissance de Suzanne Lebeau, Gervais Gaudreault et Odette Lavoie, un trio animé par une force exceptionnelle et une foi inébranlable dans le théâtre jeunesse. Odette nous a quittés mais son souvenir demeure ancré dans ma mémoire.

Le Carrousel et ses membres fondateurs, Suzanne et Gervais, sont de véritables et grands ambassadeurs du Québec en France et à l’international. La Délégation générale du Québec a toujours été fière de les soutenir. J’ai eu la joie et l’honneur d’avoir été, tout ce temps, témoin de la résonance et de l’influence inimaginables du Carrousel sur le territoire français, de l’écho formidable des paroles de Suzanne Lebeau auprès des enfants, des professionnels du milieu et des universitaires, des réflexions de Gervais Gaudreault sur l’importance de la voix dans le jeu des comédiens, du respect essentiel envers les jeunes spectateurs, un vrai public, capable aux yeux de l’autrice et du metteur en scène d’appréhender tous les sujets sans tabou. De toutes ces années, je retiens quelques mots indispensables pour définir les relations humaines et amitiés qu’ils ont tricotées : fidélité, complicité, sincérité, transmission, respect.

Sur cet écheveau qu’ils ont assemblé, j’ai suivi leurs créations au fil du temps. Mes souvenirs désordonnés des villes et des noms remontent à la surface. Je revois Le Carrousel sur les routes : de Noisiel à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon où Salvador est né (Françoise Villaume, Daniel Girard), d’Angoulême (Marie-Jeanne Vian, Gérard Lefèvre, Agathe Biscondi) à Narbonne (Dominique Massadau), de Chambéry (Dominique Jambon) à Vitry-sur-Seine (Gérard Astor) en passant par Reims (Joël Simon) et Paris (Comédie-française/Anne-Laure Liégeois ; le Tarmac/Valérie Baran). Cette aventure théâtrale et humaine inédite est due à Maurice Yendt qui présenta en 1983 Une lune entre deux maisons et Les petits pouvoirs aux RITEJ de Lyon. Un véritable sésame pour Le Carrousel qui s’est vu ouvrir les portes de la France, de la Francophonie et du monde. 40 ans de présence en France.

Évoquer certains noms, c’est risquer d’en oublier tant d’autres. Aussi, j’ajoute les éditions Théâtrales (Pierre Banos) et celles d’Emile Lansman, fidèles de la dramaturgie québécoise, croisés si souvent sur le parcours de la compagnie.

Avec Le Carrousel, j’ai voyagé en Amérique du Sud grâce à Salvador, à Taïwan, au Québec, au Mexique, en République démocratique du Congo et en France. Au théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, j’ai vu Léon Avezard − le vieux frère cadet de Petit Pierre − sécher ses larmes en découvrant le texte de Suzanne et la mise en scène ingénieuse de Gervais. Quelques années plus tard, dans ce même théâtre, Le Carrousel avait invité Amisi Mungo Serge et Yaoundé Mulamba Nkita, deux anciens enfants soldats qui avaient inspiré Le bruit des os qui craquent. Gervais Gaudreault avait mis en place une exposition généreuse et inoubliable autour des sculptures et des marionnettes des deux artistes congolais. Enfin, que dire aussi de toutes les autres pièces du Carrousel dont L’Ogrelet, qui ont tourné trois fois, quatre fois et plus en France grâce aux liens tissés serrés et à la confiance sans cesse renouvelée ?

Partout, sur ce chemin, j’ai vu les enfants et les adultes réunis dans un même frisson, une même émotion devant la qualité, la franchise, l’exigence des propositions. Face à eux, Suzanne qui les écoute et les enchante par ses mots. Je me rappelle de ce soir en 2010 − au Tarmac, avenue de Gambetta à Paris − où Suzanne reçoit le prix Collidram. Je suis étonnée par l’intervention éloquente d’une préadolescente en échec scolaire. Elle révèle être venue à chaque rencontre programmée avec Suzanne par son collège. La présence de l’écrivaine était devenue son unique motivation pour aller en classe. Édifiant !

Le Carrousel tourne et entraîne dans son mouvement ceux qui montent en cours de route. En 2021, Marie-Eve Huot a succédé aux créateurs Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault. Le Carrousel poursuivra sa course autrement. Je l’accompagnerai assurément mais je garderai toujours le souvenir indélébile des premières rencontres, chaleureuses et instructives, ainsi que des magnifiques histoires qui m’ont été racontées et qui se sont construites en 50 ans.

Mireille Lacroix
Attachée culturelle (arts de la scène, livres et édition)
Délégation générale du Québec à Paris

Hommage à Suzanne Lebeau lors de la 22e édition du festival La Tête dans les nuages à Angoulême en 2019.
Sur la photo : Gérard Lefebvre (directeur du Théâtre d’Angoulême en 2019), Mireille Lacroix et Suzanne Lebeau.
Crédit photo : Odette Fouche