
Les cahiers du 50e
Milena Buziak
Il y a de ces rencontres qui changent le cours d’une vie.
Ma rencontre avec Le Carrousel en fut une.
À l’époque, j’étudiais le théâtre en anglais et les jeunes publics ne faisaient pas partie de mes préoccupations.
Et puis j’ai vu L’Ogrelet de Suzanne Lebeau, mis en scène par Gervais Gaudreault. La force de ce texte, de ses images et ses métaphores m’ont ouvert les yeux sur ce qu’on pouvait dire aux enfants et aux adultes tout autant. La mise en scène et la direction des acteurs m’ont transportée dans un autre monde, le monde des possibles, sans édulcorant, sans leçon à donner. Elles m’ont permis de ressentir des émotions profondes, de faire des parallèles avec ma vie, de me sentir intelligente, mais aussi de constater que les enfants autour de moi ressentaient des choses similaires.
Et puis j’ai rencontré Gervais et Suzanne. Je fus bouleversée par le discours qu’ils portaient autour de cette discipline, par leur dévouement à offrir aux enfants d’ici et d’ailleurs des spectacles de qualité qui abordent les grands enjeux et défis de la vie.
Et puis j’ai rencontré le reste de l’équipe, Odette, Dominique, Nathalie, Yvon, Éric, et puis Fred, Ludger… Je suis tombée au cœur de cette famille, comme un flocon de neige, délicatement mais sans détour.
J’ai fait un premier stage de mise en scène avec Gervais sur le spectacle Le bruit des os qui craquent. Quel bonheur quand il m’a demandé de l’assister à la reprise de cette production ! Ensuite, nous avons travaillé ensemble sur deux créations du Carrousel, Nuit d’orage et Gretel et Hansel. J’ai appris de lui à ne pas avoir peur du silence ni de l’immobilité. J’ai compris la composition des corps dans l’espace et que chaque élément scénique porte son propre discours. J’ai aimé notre complicité, forgée dans la rigueur et la joie de chaque création, et sa bienveillance dans la relation avec les acteurs.
Je parle beaucoup de Gervais, car c’est avec lui que je travaillais de façon plus étroite. Mais c’est de toute l’équipe que j’apprenais au jour le jour. Le Carrousel m’a fait confiance alors que je sortais de l’école, m’a soutenue dans mes premiers balbutiements de mise en scène et de création de compagnie (Odette m’a dit un jour, en riant : « Voyageurs Immobiles, c’est un drôle de nom pour une compagnie de tournée ! »).
Je pense à tout ça à chaque fois que je prends le thé dans le service à pois orange des années 50 que Gervais et Suzanne nous ont offert lorsque nous avons emménagé dans notre nouvelle maison – maison qu’ils nous ont aidés à trouver et à rénover.
Je regarde Le Carrousel aujourd’hui et je me réjouis que cette rigueur, cette passion, ce dévouement continuent à marquer les publics à travers le travail de Marie-Eve et de toute l’équipe.
Alors je verse un peu de thé Alishan des hautes montagnes de Taïwan dans ma tasse à pois orange et je bois à votre santé ! Sto lat !
Milena Buziak
Metteuse en scène
Directrice artistique et générale de la compagnie Voyageurs Immobiles
Descriptif de la photo :
Le bruit des os qui craquent (2009) de Suzanne Lebeau, mise en scène de Gervais Gaudreault.
Sur la photo : Audrey Talbot et Jean-Philip Debien
Crédit photo : François-Xavier Gaudreault