Les cahiers du 50e
David Ospina

Le Carrousel

Pour être franc, ma rencontre avec Le Carrousel s’est produite assez tard dans ma vie. Peut-être la compagnie a-t-elle visité mon école primaire quelque part au milieu des années 80 ? Mais alors mes souvenirs sont aussi vaporeux que la brume d’une soirée de novembre qui aurait osé le redoux.

J’ai réfléchi assez fort, je voulais laisser ici une trace un tant soit peu intelligente, au moins sincère et surtout à la mesure de mon impression. Cet incroyable projet, né dans les esprits de Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault. Le Carrousel, une compagnie de création qui au fond est la concrétisation, la forme tangible d’un grand désir fulgurant. Entrer pour de vrai de vrai en connexion avec les cœurs et les intelligences de l’enfance. Élever la parole, raffiner la forme, regarder les jeunes publics en face, à leur grandeur.

Les arts vivants, ce sont toujours des gens qui essaient très fort de canaliser toute leur essence dans leurs certitudes, qui s’embrasent et très souvent se consument, trop souvent. Pourquoi ? Pour fabriquer et façonner le « nous ». Cette voix qui résonne de l’autre côté du sombre d’un gouffre, une main qui perce la surface de l’eau et sa force de nous hisser à bord, ce point de lumière qui dans la nuit refuse encore de s’évanouir malgré la distance. Pièce par pièce par geste, l’art vivant rend palpable ; on peut voir, entendre et sentir dans nos tempes nos cœurs battre. Il répond au besoin fondamental et primordial du « nous », il en illumine ses contours, enfin.

Alors imaginez ici tendre une main ouverte vers les plus petits et leur dire qu’ils existent, qu’on les entend, que leur chaleur est entière, douce et bienvenue, qu’on a besoin d’eux et qu’ils possèdent l’incroyable potentiel de révéler le meilleur de nous-même. Et notre équilibre à tous tient dans ce potentiel justement.

Ma compréhension du monde qui nous porte s’effrite. Tous les jours quelque chose semble s’écrouler sans qu’on ne puisse rien n’y faire. Je me sens parfois le souffle court, le pas incertain, la nuit fragmentée du trouble. Le Carrousel pour moi c’est l’espoir. Une grande œuvre persistante de partage humble et vrai, un élan fort qui participe à rendre les humains qui nous suivent plus conscients, plus écoutés et donc meilleurs à révéler le « nous ». Ça me fait le bien du vent tiède qui finit enfin de repousser l’hiver quelque part début avril. Marie-Eve et la merveilleuse équipe qui portent désormais Le Carrousel sont très certainement à la hauteur des aspirations sans compromis qui l’ont mis au monde il y a maintenant 50 ans. Ma rencontre avec la compagnie fut tardive mais peut-être a-t-elle eu lieu au moment où j’en avais le plus besoin.

 

David Ospina
Photographe

 

Descriptif de la photo :

Joséphine et les grandes personnes (2024) texte de Marie-Hélène Larose-Truchon, mise en scène de Marie-Eve Huot.
Sur la photo : Mireille Métellus
Crédit photo : David Ospina