Les cahiers du 50e
Benoît Vermeulen

Je suis un enfant du Carrousel. J’y ai été adopté très jeune et je m’y suis épanoui pendant plus de 25 ans. Je me suis nourri de son raffinement, de sa rigueur et de son audace. J’y ai trouvé une réflexion en constante évolution sur l’acte de créer, une vivacité intellectuelle captivante, une capacité incroyable à provoquer des rencontres percutantes avec l’enfance. Gervais et Suzanne m’ont pris sous leurs ailes. Je ne serais pas l’artiste que je suis sans cette terre nourricière. Et que dire de la richesse humaine et culturelle que m’a apportée la découverte du monde grâce à toutes ces années de tournées (parfois trois, quatre mois par année !) un peu partout sur le globe.

Dès le début, je me suis senti privilégié. Je me souviens de mon audition pour la pièce Gil, Quand j’avais 5 ans je m’ai tué. J’étais terrorisé. Je n’ai jamais autant désiré un rôle. Les auditions avaient lieu dans une école. Il faisait froid. Suzanne était emmitouflée dans un grand manteau avec son regard noir, ses cheveux noirs, son intensité. Gervais tout en arabesques me demandait de refaire le monologue, avec plus de simplicité, d’intériorité, et surtout de respirer, là dans le bas ventre… Malgré mes trois années de formation et le stress de l’audition, je ne saurais expliquer pourquoi, je me suis senti complètement libre, comme si le regard de Gervais, son énergie, sa bienveillance et son exigence venaient d’ouvrir, comme par magie, l’instinct fondamental du « jeu » en moi. Et ce, en pleine audition. Par la suite, cette leçon de direction d’acteur, j’ai eu le privilège de la vivre intimement pendant plus de 20 ans. Gervais est un méticuleux artiste de l’âme. Gil a été une aventure formatrice extraordinaire. Elle ouvrait les portes sur un théâtre qui osait convier les enfants à des formes et à des contenus audacieux, troublants, exigeants. Il était possible, pour ne pas dire nécessaire, d’être un artiste sans concession quand on s’adresse aux enfants. Et quel plaisir pour le jeune acteur que j’étais de découvrir une dramaturgie qui offre des rôles aussi complexes et d’une telle profondeur à défendre en théâtre enfance-jeunesse. A suivi la magnifique aventure de Contes d’enfants réels, projet baveux et trippant dans lequel la plume savoureuse de Suzanne célébrait la vie réelle loin de la rectitude politique (pièce qu’il serait probablement impensable de monter de nos jours sans subir la censure des bien-pensants). Je l’ai jouée pendant près de 25 ans ! Du Festival de théâtre des Amériques en 1993 à la dernière tournée en France en 2017, avec sa version espagnole, Cuentos de niños reales, cette aventure m’aura fait visiter les plus belles villes de France, d’Espagne et d’Amérique du Sud. Et à travers tout ça, il y a eu l’audacieuse création de Petit Navire de Normand Chaurette, tout en nuances sur le délicat enjeu de la mort de la mère. D’autres souvenirs de scène et de tournées inoubliables.

Bravo Gervais, bravo Suzanne, quelle œuvre inspirante vous léguez au monde entier. 50 ans. Wow ! Et bravo à Marie-Eve qui poursuit l’aventure avec autant de rigueur, de passion et de vision que ses prédécesseurs. Joyeux anniversaire cher Carrousel.

Benoît Vermeulen
Cofondateur et codirecteur artistique du Théâtre Le Clou, et metteur en scène

Descriptif de la photo :

Gil (1987) adaptation de Suzanne Lebeau d’après le roman d’Howard Buten Quand j’avais 5 ans, je m’ai tué, mise en scène de Gervais Gaudreault, est l’une de trois pièces du Carrousel auxquelles a participé Benoît Vermeulen.
Sur la photo : Benoît Vermeulen et Francine Beaudry
Crédit photo : André P. Therrien