Infolettre juin 2023

À quoi mesure-t-on la vie d’une compagnie de création ? Est-ce au nombre de spectacles produits ? Au nombre de théâtres ou de territoires visités, au nombre de représentations jouées, au nombre de spectateurs rencontrés ? Aux artistes embauchés ? Aux partenariats scellés ? Aux distinctions obtenues ?

Ou devons-nous plutôt nous arrêter aux contenus abordés, aux formes et formats explorés, aux processus suivis pour entrer dans le geste artistique ? Aux pièces écrites, jouées, publiées, à celles jamais imaginées ?

Ou encore (et c’est là sans doute que ça deviendrait intéressant) peut-être mesure-t-on la vie d’une compagnie de création à toutes les choses invisibles à l’œil nu et qui pourtant nous relient, artistes, public et monde contemporain :

  • la puissance d’une parole qui ne peut être contenue…
  • l’intégrité et la profondeur d’une démarche qui se déploie sur le long terme…
  • le souvenir laissé dans l’esprit d’un spectateur…
  • le soin accordé aux relations tissées à travers le temps et l’espace ?

Il y a quelques jours, j’étais avec l’équipe d’Une petite fête – Cabaret de la dissidence pour une dernière réunion de production avant les vacances. Un mouvement de recul s’est soudainement opéré en moi : je suis entrée dans un instant de pleine conscience. Je nous ai vus, animés, passionnés, engagés. Je nous ai vus inventer avec fougue et générosité ce qui deviendra la nouvelle création du Carrousel. J’ai été touchée par la somme des intelligences réunies ce jour-là. Impressionnée par la somme de travail que nous réalisions à nous sept, huit, neuf personnes réunies. Je me suis dit : c’est ça, faire du théâtre. Faire du théâtre, c’est être ensemble.

Quelques jours plus tard, alors que je venais à peine de sceller un dernier pot de confiture de fraises que j’avais cueillies avec ma mère et ma fille, je suis tombée sur une photo publiée le jour même par Mamby Mawine, artiste sénégalaise associée au Carrousel. La photo la dévoilait en train de faire de la confiture de mangue. J’ai souri : ainsi donc, Mamby et moi, chacune dans notre monde, faisions la même chose au même moment ? N’est-ce pas infiniment merveilleux ? N’est-ce pas absolument délicieux ? Puis j’ai pensé à Marie-Christine Lê-Huu et Karin Serres, elles aussi associées à la compagnie, avec qui Mamby et moi avons entretenu toute la saison une correspondance. Cette correspondance a été une douce étreinte : elle m’a aidée, comme le théâtre d’ailleurs, à guérir les petites tristesses de la journée ou les grandes injustices dont nous sommes jour après jour les témoins impuissants ; m’a rappelé que mes obsessions du jour ne composent pas la matière à laquelle je dois réfléchir à long terme.

Peut-être qu’elle est là, la réponse à la question que je me pose : peut-être que la vie d’une compagnie de création se mesure par la qualité des moments partagés avec l’Autre. Le théâtre serait-il un territoire de ré enchantement ? Un endroit où l’on prendrait le temps de respirer au diapason, un rendez-vous qu’on se donnerait pour se dire très modestement qu’être ensemble, dans un même espace-temps, c’est quelque chose de beau ? Peut-être s’agit-il de célébrer toutes ces choses invisibles qui pourtant nous relient entre Montréal, Annecy, Paris et Dakar.

Bon été,
Bon repos.

Marie-Eve Huot et toute l’équipe du Carrousel

Marie-Eve Huot à Avignon

La directrice artistique du Carrousel sera à Avignon du 7 au 16 juillet 2023. Elle participera à deux activités qui se tiendront à La Cour du Spectateur : lors des lectures-rencontres du 13 juillet, elle lira un extrait de son texte Ce qui ne se dit pas ; le 14 juillet, elle prendra part à une table-ronde portant sur le rôle du théâtre jeune public dans l’expression des problèmes de ceux qui ont rarement la parole, une carte blanche dans le cadre du programme avignonnais de Scènes d’enfance / Assitej-France.

Suzanne Lebeau, Officière de l’ordre des Arts et des Lettres de la République Française

La compagnie félicite chaleureusement sa cofondatrice, Suzanne Lebeau, qui a été promue au grade d’officière de l’ordre des Arts et des Lettres de la République Française. La France a choisi de rendre hommage à la dramaturge reconnue mondialement comme cheffe de file de la dramaturgie pour jeunes publics. Cette décoration récompense les personnes qui se sont distinguées par leurs créations et leur contribution dans les domaines de la culture.